Faust revisité : L’Apprenti Sorcier Alecton

Les secousses politiques de notre époque réveillent d’anciens mythes. Parmi eux, celui de Faust : l’homme qui croit tout dominer, jusqu’aux forces qu’il ne comprend pas.
Alecton, tribun ivre de lui-même et des foules, pactise avec l’ombre et découvre sa vanité.
À travers cette tragédie en vers, Faust revisité devient parabole politique et miroir de notre temps.

Personnages

  • Alecton, tribun enfiévré, apprenti-sorcier de la politique

  • Méphisto, esprit de l’ombre, tentateur et ironiste

  • Le Prince de Glace, démon de l’Est

  • Le Bouffon de Feu, démon de l’Ouest

  • Le Chœur de l’Abîme, foule spectrale, sans visage

  • Le Chœur, voix collective qui introduit et commente l’action

Prologue

(Le Chœur paraît, Méphisto rôde dans l’ombre.)

Le Chœur
Ô vous qui contemplez les jeux de la puissance,
Sachez que l’ambition s’use en sa violence.
Celui qui croit dompter les éclairs et les vents
N’est qu’un enfant perdu dans l’abîme mouvant.

Il rêve d’être roi, prophète, ou bien encore
Sauveur d’un peuple ivre en quête d’un décor.
Mais le peuple est torrent : il s’élève et s’écroule,
Il flatte, il se détourne, et son amour s’écoule.

Méphisto (à part)
J’attends dans l’ombre froide où brûlent les serments,
Je nourris les orgueils, j’enflamme les tourments.
Qu’importe l’homme élu : je sais que tôt ou tard
Il viendra dans ma main sceller son propre hasard.

Le Chœur
Alecton va paraître : il s’avance en lumière,
Il veut briser les rois, il promet la poussière.
Mais ce qu’il va trouver, au bout de ses éclats,
Ce n’est point un empire, mais l’abîme et ses mâts.

(Le Chœur se retire. Rideau.)

Acte I – Le Cabinet des Illusions

Un cabinet sombre, encombré de livres et de drapeaux. Nuit profonde.

Alecton
J’ai crié, j’ai juré, j’ai promis des orages,
Et je n’ai recueilli que silence et naufrages.
Les foules m’écoutaient mais sans flamme en leurs yeux,
Et mes mots retombaient, dérisoires, odieux.

Moi, Alecton, je veux qu’un éclair me couronne,
Que ma voix soit tonnerre et ma main qui foudronne.
Je veux plier le monde aux désirs de mon cœur,
Et que l’Histoire enfin reconnaisse son maître.

(Méphisto surgit dans l’ombre, sourire cruel.)

Méphisto
Je viens : tu m’as appelé, j’accours à ton appel.
Dis-moi quel est ton vœu, ton désir immortel.

Alecton
Donne-moi la puissance et la foule asservie,
Qu’un peuple à mes genoux dépose son envie !

Méphisto
Soit. Mais souviens-toi bien, toi qui veux tant régner :
Qui pactise avec l’ombre y perdra sa destinée.

(Ils scellent le pacte. Tonnerre. Rideau.)

Acte II – L’Ivresse des Places

Une grande place. Nuit rougeoyante. On entend la rumeur de la foule.

Alecton
Voyez ! Voyez ! La foule est marée triomphante,
Elle roule à mes pieds sa clameur haletante !
Je suis leur voix, leur sang, leur courroux souverain,
Et l’Histoire à genoux s’incline en mon chemin !

Méphisto
Aujourd’hui ces vagues te portent et t’enflamment,
Demain ce même flot t’écrasera de blâme.
La mer n’a point de maître : elle flatte, elle ment,
Et noie au lendemain l’élu d’un seul moment.

Alecton
Qu’importe ! Je suis l’orage et le siècle qui tonne,
Je suis le feu divin que nul temps n’abandonne !

(La clameur décroît. Silence lourd. Rideau.)

Acte III – Les Forces Obscures

Un espace nocturne, sans lieu ni temps. Alecton, seul. Les démons apparaissent.

Alecton
Quels monstres m’enserrent-ils ? Quelles ombres m’entourent ?
Est-ce là mon empire ou la fin de mes jours ?

Prince de Glace
Tu voulais la froideur souveraine et sévère :
Je viens, Prince de Glace, héritier des hivers.

Bouffon de Feu
Tu cherchais le tumulte et la flamme égarée :
Je suis Bouffon de Feu, l’ardeur démesurée.

Chœur de l’Abîme
Tu croyais allumer les flammes du destin,
Mais tu n’as fait qu’ouvrir nos gouffres de tes mains.

Méphisto
Tu voulais chevaucher l’orage et ses tonnerres,
Mais l’orage n’admet ni cavalier ni frères.

Alecton
Non ! Non ! J’étais prophète et roi de l’univers !
Je ne suis qu’un pantin jeté dans l’enfer !

(Les démons éclatent de rire. Alecton s’effondre. Rideau.)

Acte IV – La Chute

Retour au cabinet. Tout est cendre. Alecton, vieilli, défait, assis.

Alecton
Tout est cendre à mes pieds, tout s’efface et s’écroule,
Les foules m’ont quitté comme s’éteint la houle.
Moi qui voulais l’éclair, je n’ai trouvé qu’un feu,
Moi qui rêvais d’Histoire, je n’ai laissé que peu.

(Méphisto surgit une dernière fois, silhouette d’ombre.)

Méphisto
Ainsi meurt l’apprenti, trop avide d’emprise,
Qui croit se faire mage et n’est qu’une méprise.
Le feu qu’il invoquait a consumé son nom,
Et l’Histoire à jamais l’oubliera sans pardon.

(Silence. Rideau.)

Épilogue du Chœur

(Le Chœur revient. Décor en cendres. Silence solennel.)

Le Chœur
Ainsi tombe l’orgueil qui se croyait lumière,
Ainsi meurt la grandeur qui se voulait entière.
Alecton n’était qu’homme et voulut être dieu :
L’ombre l’a consumé, lui qui rêvait les cieux.

Quiconque ose appeler les démons de la gloire
Se perd tôt ou bien tard dans la nuit dérisoire.
Le peuple est un torrent, la puissance un fardeau :
L’un flatte, l’autre brise, et tous mènent au tombeau.

Ne pactisez jamais avec la voix obscure,
N’espérez point dompter ce que rien ne mesure.
L’ambition qui dévore et se prend pour un roi
N’est qu’un feu passager que le vent jette en proie.

Apprenez de sa chute et gardez la mémoire :
Qui veut faire l’Histoire n’en reçoit que la gloire.
Mais celui qui se croit mage, élu, souverain,
Découvre dans l’abîme un funeste destin.

(Le Chœur se retire. Silence. Rideau définitif.)

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