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Prologue – 03:14

Il était 03:14 lorsque la lumière rouge s’éteignit, non comme on coupe un signal, mais comme une braise qui meurt, faute d’air. Elle se retira sans lutte, absorbée par l’obscurité qui, depuis longtemps déjà, semblait l’attendre. Dans la salle de contrôle, aucun sursaut, aucun cri : seulement cette étrange suspension, cette manière qu’a le silence de précéder les choses graves.

Sur les écrans, les images continuaient de tourner, mais comme en décalage, comme si la réalité, trop lourde pour être saisie, refusait désormais de se laisser capter. Un flou glissait d’un angle à l’autre, une ombre persistante courait à travers les cadres, sans jamais se fixer. Puis le signal se stabilisa.

Gallina n’y était plus. Pas de départ filmé, pas de trace visible. Rien qu’un vide précis, méthodique — à peine plus qu’une absence. Mais une absence construite, pensée, presque écrite. On consulta les archives. Les données étaient là, intactes, triées, classées — mais comme passées à travers un filtre. Le centre de la scène, lui, avait disparu.

Officiellement, on parla d’un incident. D’un défaut d’enregistrement. Un court-circuit peut-être, un bug. On convoqua les techniciens, on révisa les balises. Tout rentra dans l’ordre. Mais certains, parmi les bêtes, se souvinrent de ce qui était arrivé à Muskrat. Lui aussi avait disparu sans bruit. Lui aussi s’était effacé sans justification. Et pendant plusieurs jours, ses phrases — coupées net — avaient continué de flotter dans les circuits de Big Pig, comme des morceaux d’une conscience que nul ne parvenait à désactiver.

Peut-être était-ce cela, justement, que les plus attentifs pressentaient : que la disparition de Gallina n’était pas un accident, mais la reprise d’un motif déjà entendu — une musique que l’on croyait finie et qui, soudain, recommence. Plus lente. Plus grave. Plus souterraine.

Le nom de Gallina ne fut prononcé par personne. Il s’effaça non par décret, mais par oubli simulé. Et ce fut cela, peut-être, le plus insidieux : ce pacte muet par lequel tous, d’un même élan, choisirent d’agir comme si rien ne s’était passé — alors que chacun, dans le secret de son souffle, savait que tout avait changé.

Gallina I – Le seuil

Elle avait marché toute la nuit. Sans pause. Sans détour. Non pour fuir, mais parce qu’il n’y avait rien derrière à quoi revenir. Seulement le noir. Et ce noir-là ne se laissait plus nommer.

Au début, elle ne sentait rien. Puis elle sentit tout.

La terre, d’abord ferme, se dérobait. Le sol grinçait, respirait, se plissait sous ses pas. Les ombres remuaient, trop vives, trop épaisses. Chaque son paraissait amplifié. Une branche craquait, et c’était une détonation. Une aile battait au loin, et c’était un cri d’alerte. Tout était trop proche, trop vaste, trop brut.

Elle ne pensait pas. Elle encaissait.
Une forme de panique sourde l’avait prise, sans objet précis. Ce n’était pas la peur d’être suivie. C’était une peur sans visage, une peur d’être là, sans balise, sans balustrade. Le froid s’insinuait. Elle claquait du bec sans s’en rendre compte. Son cœur battait comme pour fuir son propre corps.

Elle aurait pu s’arrêter. Elle aurait pu faire demi-tour. Mais quelque chose la tenait droite. Pas une volonté. Pas un courage. Plutôt une tension primitive, venue du plus ancien d’elle-même. Quelque chose qui disait : avance. Continue. N’écoute pas ce qui tremble.

Peu à peu, ses pattes s’étaient ajustées. Elle apprenait à poser le pied autrement. Le sol n’était plus une surface : c’était un langage. Les racines devenaient balises, les creux des refuges possibles. Ses yeux, d’abord aveuglés par l’absence de lumière calibrée, retrouvaient des contrastes plus vivants, plus profonds.

Elle passa entre deux troncs, s’engagea dans un sous-bois. Le silence n’était plus absence. Il était peuplé. De craquements, de souffles, de présences inconnues. Elle ne savait pas si on la guettait. Mais elle sentait que, dans ce monde-là, elle était vue autrement — non comme une cible, mais comme un passage.

Le jour se leva sans signal. Une lueur grise, lente, épaisse. Elle ne s’arrêta pas. Elle ne tremblait plus. Elle ne comprenait rien encore, mais elle habitait.

Ce n’était pas la fin d’une cage.

C’était l’entrée dans une autre loi.

Un instinct brut, froid, plus ancien qu’elle-même.

Elle ne le comprenait pas.

Mais son corps, déjà, le reconnaissait.

I – La faille

Depuis que Big Pig avait été mis en sommeil — non abattu, non désactivé, mais relégué, comme une bête trop lente que l’on écarte du chemin — quelque chose avait changé. Ce n’était pas un événement, pas un coup d’État. Plutôt une perte de repères, un glissement diffus du sol sous les pattes. Le système fonctionnait encore, certes, mais comme un corps privé de son centre nerveux : il obéissait à l’habitude, au réflexe, à l’inertie.

Snowball, lui, tenait toujours la barre. Du moins en apparence. Il dictait, surveillait, vérifiait. Mais ses gestes n’étaient plus assurés. Il écoutait les autres parler, et leurs voix semblaient lointaines, comme filtrées par une vitre qu’il n’avait pas posée. Il dormait peu, ou mal. Des fragments de phrases flottaient dans sa mémoire — certains prononcés par Gallina, d’autres, plus anciens, par Muskrat. Et dans ces résurgences sans logique, il sentait remonter une inquiétude qu’aucun décret ne pouvait contenir.

Il avait voulu la Voix. Il l’avait imposée. Plus de données, plus d’algorithmes : désormais, on écoutait, on répétait, on récitait. Mais ce nouveau régime, censé le délivrer du doute, ne lui offrait qu’un silence amplifié. Car ce qu’il attendait — une adhésion pleine, une foi brute — ne venait pas. Ou pas comme il l’espérait. Les bêtes obéissaient, oui. Mais dans leur obéissance même, quelque chose résistait. Une torpeur. Une absence. Comme si la répétition des slogans n’engendrait plus rien, sinon de l’écho.

Vince poursuivait son œuvre avec une exactitude terrifiante. Il parlait peu, agissait vite, contrôlait tout. À première vue, c’était une bénédiction. Mais pour Snowball, c’était un mur. Il ne pouvait plus parler. Chaque mot semblait se heurter à ce miroir poli, sans faille, sans faille mais sans écoute. Vince ne jugeait pas. Il relayait. Il vérifiait. Il existait comme fonction — et cette pureté fonctionnelle, Snowball la ressentait comme une mise à nu.

Il lui arrivait parfois, dans la nuit, d’errer dans les couloirs de la Ferme sans but. Il observait les visages collés aux murs, les slogans, les silhouettes immobiles. Et au détour d’un angle, il lui semblait voir passer une ombre — rapide, basse, presque familière. Une patte. Une plume. Quelque chose d’inclassable. Il s’arrêtait, attendait. Rien. Puis il repartait, le souffle court.

Il pensait à Gallina. Non comme à une ennemie, mais comme à une énigme. Elle n’avait rien crié. Rien dénoncé. Elle était juste partie. Ou plutôt : elle s’était dérobée. Non pas disparue. Mais devenue introuvable. Inaccessible. Et c’était cela, l’horreur véritable. Non pas la perte d’une adversaire, mais celle d’un monde. Un monde où l’on pouvait encore croire que tout était calculable, modélisable, contrôlable. Depuis qu’elle n’était plus là, Snowball ne contrôlait plus rien. Pas même lui-même.

Il voulait croire que Vince tiendrait. Qu’il était le dernier bastion. Le rempart. Mais plus les jours passaient, plus le coq lui apparaissait comme une forme vide. Un contour. Un spectre. Vince ne faiblissait pas — et c’était bien cela qui le rendait effrayant.

Alors Snowball fit ce qu’il n’avait jamais fait auparavant :
il ferma les yeux, et tenta d’écouter ce qui se disait au creux de lui-même.
Et ce qu’il y trouva n’était ni voix, ni ordre, ni vérité.
Ce fut un silence.
Un silence profond, compact, sourd —
un silence de chute.

Gallina II – La peur nue

La nuit suivante fut plus rude. Plus nue.

Le vent s’était levé, coupant, tranchant, porteur d’odeurs étrangères. Il fouettait les branchages, faisait claquer les feuillages secs. Gallina, recroquevillée sous un vieux tronc couché, n’osait plus bouger. Chaque bruit semblait venir vers elle. Chaque ombre était une menace. Elle ne dormait pas. Elle n’était pas non plus éveillée. Elle attendait. Corps figé. Esprit tendu. Une pierre battante dans l’obscurité.

Elle avait froid. Une morsure sourde, lente, qui remontait par les pattes et s’accrochait au ventre. Elle claquait du bec, plus de peur que de froid, en vérité. Rien n’était familier. Rien ne répondait.

Un moment, elle pensa retourner en arrière. Retrouver les couloirs, les chiffres, les néons. Là-bas, on avait peur aussi. Mais c’était une peur propre, programmée, admissible. Ici, c’était autre chose. Une peur sans bord, sans voix. Un vertige.

Mais elle resta. Elle ne savait plus où était la ferme. Et cela, pour la première fois, ne la terrifia pas entièrement.

Elle releva la tête. Loin, dans le ciel sans lumière, un cri animal résonna, court et perçant. Pas un cri de douleur. Un signal. Une existence.

Elle n’était pas seule.

Elle n’était pas chez elle. Mais elle était dans un monde où l’on pouvait exister autrement.

Elle se recroquevilla à nouveau, le bec posé contre son flanc.
Elle ne dormit pas. Mais le silence, peu à peu, cessa d’être une menace. Il devint une couverture. Rugueuse. Rassurante.

II – Le miroir

La porte s’était refermée derrière lui avec un cliquetis presque rassurant. C’était un geste quotidien, répétitif. Il verrouillait. Deux fois. Toujours deux. Une fois pour se protéger, l’autre pour s’isoler. Il disait que c’était une question de sécurité. Mais en vérité, il n’avait plus peur des autres. Il avait peur de ce qui, en lui, continuait de lui échapper.

La pièce était nue, comme il les aimait : murs blafards, rideaux inexistants, lumière crue. Pas d’écho, pas d’angle mort. Rien que lui et le miroir. Ce miroir ancien, cabossé, rivé au mur depuis l’époque de Franco, il ne s’en était jamais soucié. Il n’aimait pas son reflet, ni l’idée d’être vu. Mais depuis quelque temps, il ne pouvait plus s’en détacher. Quelque chose s’y jouait. Quelque chose de plus qu’un simple retour d’image.

Il s’approcha. Le carreau était sale, mais pas assez pour masquer ce qu’il fallait voir. Son propre regard le fixait. Mais ce n’était pas tout à fait le sien. Il le savait. Il le sentait. C’était son museau, son front, ses oreilles — et pourtant, une tension sourde, une altération infime le rendait étranger. Comme si une mémoire ancienne habitait cette surface, une mémoire dont il n’était plus le maître.

Il murmura. Une phrase neutre, sans importance, comme pour tester le terrain. Le reflet ouvrit la bouche en décalé, imperceptiblement. Ce n’était pas un défaut de la glace. C’était un choix. Une volonté. Il se répéta, plus fort. Et la voix, cette fois, revint. Pas la sienne. Une voix fendue, abîmée, râpeuse — comme passée par des haut-parleurs brûlés. C’était une voix d’avant. La voix de Franco.

Il recula d’un pas. Mais ses yeux ne lâchaient rien. Il connaissait cette voix. Elle avait gouverné les premières années. Elle avait hurlé les slogans, dicté les lois, saigné les chants. Et maintenant, elle lui parlait. À lui.

— Tu n’es que mon écho, souffla la voix.

Snowball ne répondit pas.

— Tu m’as chassé, mais tu as gardé mes murs. Tu m’as maudit, mais tu m’as imité. Tu crois avoir inventé. Tu n’as fait que répéter.

— J’ai transformé, répondit Snowball enfin. J’ai donné sens. J’ai structuré.

— Tu as obéi.

Le silence fut épais, collant. L’air lui-même semblait vibrer. Snowball ferma les yeux. Il voulait fuir cette voix, mais elle était là. En lui. Comme un vieux programme relancé en boucle. Il se rappela une phrase de Muskrat, prononcée jadis, avant la trahison, avant la disparition :
« Le pouvoir ne se pense pas. Il se répète. »

Il rouvrit les yeux. Le miroir ne le reflétait plus. À sa place, Franco. Le vrai. Massif. Blême. Immobile. Et derrière lui — dans ce reflet —, une ombre semblait s’échapper. Un pan de mur vibrait. Comme si la réalité elle-même commençait à céder.

Il cria. Non un cri de peur, mais un cri de refus. De lutte. De négation. Mais le miroir ne bougea pas. Il absorba. Il digéra.

La porte grinça dans son dos.

Vince.

Le coq s’immobilisa dans l’encadrement, ne dit rien. Il vit Snowball, seul, face à la glace, haletant, les pattes tremblantes. Il vit — mais il ne parla pas. Il ne jugea pas. Il resta. Puis il repartit.

Snowball, lui, recula jusqu’au mur opposé. Il s’effondra. Et alors seulement, il pleura.
Non de douleur.
Ni de peur.
Mais de vertige.

Il n’était plus un chef. Il n’était même plus une figure.
Il était devenu une chambre d’échos, un conduit traversé par les spectres de ceux qu’il avait cru terrasser.

Et dans un coin de son esprit, très loin, très faible, une plume blanche disparue vibrait encore.
Une voix qu’il n’avait jamais écoutée.
Une présence douce, ténue, qui lui disait :
Tu ne règnes sur… rien.

Gallina III – L’adaptation

Le jour s’était levé sans éclat, dissimulé derrière une brume épaisse qui couvrait le sol comme un drap humide. La lumière ne tombait pas du ciel, elle semblait suinter des arbres, comme une vapeur pâle. Gallina marchait depuis l’aube. Ses pattes s’enfonçaient dans la terre molle, entre les racines tordues et les écorces détrempées. Elle ne suivait aucun sentier, mais elle n’était plus perdue. Son corps guidait. Et pour la première fois, elle le laissait faire.

Elle n’attendait rien. Elle avançait. Chaque pas éveillait une sensation nouvelle — une résistance du sol, une morsure du froid, une odeur sauvage, indéfinissable, mais réelle. Et à mesure que son bec frôlait les ronces, que ses plumes frissonnaient sous le vent brut, elle sentait quelque chose se délier en elle : non une pensée, mais un accord primitif. Une correspondance oubliée.

Elle n’avait plus peur comme la veille. Sa peur avait changé de visage. Elle n’était plus l’ennemie intérieure qui étreint et fige, mais une compagne discrète, vigilante, ancrée dans l’instinct. Une peur simple, efficace, qui ne parle pas mais oriente. Une peur animale, redevenue juste.

À travers les feuillages, elle entendit le craquement d’un rameau. Elle s’arrêta net. Ne respira presque plus. Mais elle ne recula pas. Elle attendit. Un battement. Puis deux. Rien ne vint. Alors elle reprit sa marche, plus calme, presque grave. Il y avait désormais, dans chacun de ses gestes, une lenteur pleine. Un poids. Non celui de la fatigue, mais celui de la densité retrouvée.

Elle longea un filet d’eau mince, à peine plus qu’un suintement. Elle se pencha. Lapa. Le goût était âpre, boisé, mêlé d’ombre et de mousse. Il ne flattait pas le palais. Mais il nourrissait. Et en elle, une mémoire ancienne, plus ancienne encore que la ferme, s’éveilla doucement. Elle avait déjà connu ce goût. Peut-être pas elle, mais une lignée. Une histoire. Un sol.

Elle s’assit un instant sur une pierre couverte de lichen. Écouta. Pas le silence — car il n’y avait pas de silence. Il y avait des froissements, des raclements, des souffles. Un monde de signes discrets, que ses sens commençaient à reconnaître, non par savoir, mais par immersion.

Alors seulement, elle leva les yeux. Et dans cette verticalité retrouvée, elle ne vit pas de menace. Elle ne vit pas de but non plus. Mais elle sut que désormais, elle appartenait à ce lieu. Non comme une conquérante. Non comme une exilée. Mais comme une présence ajustée.

III – Le Décrochage

Le déraillement ne s’annonça pas comme une catastrophe, mais comme un excès de normalité.
Tout fonctionnait. Ou semblait fonctionner. Les horaires étaient tenus, les consignes diffusées, les gestes exécutés. Mais un grain, quelque part, s’était glissé dans l’engrenage. Un grain infime, invisible. Pourtant chaque rouage, dès lors, vibrait d’un soupçon de trop.

La Voix du matin, d’ordinaire synchronisée à la seconde près, se déclencha avec un infime retard. Sept secondes. Puis cinq. Puis douze. Personne ne releva la chose. Mais les regards, eux, s’altérèrent. L’ordre persistait, oui — mais il n’était plus entendu comme tel.
Ce n’était pas qu’on désobéissait. C’était plus troublant que cela : on obéissait sans y croire.

Snowball poursuivait ses tournées. Il contrôlait les relevés, commentait les graphiques, relançait les procédures. Mais ses mots glissaient sur les surfaces comme l’eau sur le verre. Rien ne s’y accrochait. La machine obéissait encore, mais sans tension. Comme un automate vidé de toute attente.

Les documents s’empilaient. Les chiffres affluaient. Il y avait trop de données. Trop d’ordres. Trop de bilans. Et pourtant, plus personne ne savait exactement ce qui devait être fait. Les gestes continuaient. Mais leur but ? Oublié. Dissous dans l’excès même de leur répétition.

Vince, lui, était parfait. Beaucoup trop. Son silence, sa précision, sa posture sans faille — tout chez lui parlait de pureté fonctionnelle. Et c’est ce qui rendait sa présence insupportable. Il n’était plus un agent. Il était le témoin froid d’un système qui se poursuit au-delà du sens.
On disait de lui : il voit tout. Mais personne ne savait ce qu’il pensait. Peut-être rien.

Et puis il y eut cette diffusion.
Un son, d’abord confus, puis obsédant. Douze minutes d’une bande sans titre, sans source, sans début clair. Ce n’était ni une chanson ni un message. C’était… autre chose. Un râle codé. Une incantation perdue. Peut-être même un souvenir. Personne ne réclama d’explication. Mais à partir de ce jour, chacun regarda les haut-parleurs avec méfiance.

Dans les zones grises — les couloirs de maintenance, les abords du dortoir des animaux B —, des noms revenaient. Celui de Muskrat, par éclats. Celui de Gallina, à voix basse. Et toujours cette question lancinante, jamais formulée : qu’est-ce qu’on nous cache ?
Mais plus troublant encore : et si rien ne nous était caché ?

Car la vérité n’était pas ailleurs. Elle était là.
Partout.
Mais creuse.

Snowball relisait les rapports. Il les annotait. Mais chaque chiffre, chaque mot semblait appartenir à un langage qu’il comprenait de moins en moins. Tout était exact. Et pourtant tout était faux.
Il ne manquait rien.
Sauf peut-être… le réel.

Gallina IV – L’empreinte

Les jours ne s’annonçaient plus. Ils arrivaient.

Il n’y avait ni sirène ni lumière filtrée, seulement le frémissement des feuillages, le claquement sec d’une branche cédant sous le poids, et le passage furtif des ombres allongées. Gallina ne comptait plus les heures. Le temps avait abandonné son cadran. Il se mesurait désormais à l’allure de ses pas, à la densité de l’air au creux des sous-bois, à la manière dont la faim la tirait lentement hors du sommeil.

Le dehors ne l’effrayait plus. Il l’avait traversée.

Sous ses pattes, les sols variaient sans prévenir. Tantôt meubles, tantôt durs, couverts d’aiguilles, de racines ou de pierres sombres. Rien n’était prévu, et pourtant tout avait sa place. Gallina, peu à peu, avait cessé de chercher un abri. Elle ne fuyait plus les éléments. Elle marchait avec eux.

Son plumage, jadis lustré, s’était terni. Non pas sale, mais travaillé. Poussière, fibres, éclats d’écorce s’y mêlaient comme des cicatrices d’un territoire qui l’adoptait à sa manière. Elle ne se toilettait plus. Elle ne luttait plus contre la forme. Elle entrait dans la forme.

Un matin, elle s’arrêta près d’une empreinte. Large, ancienne, d’un pas qu’elle ne reconnut pas.
Elle n’eut ni peur ni envie de suivre. Alors, elle s’assit.

Et dans cette immobilité volontaire, quelque chose se décanta. Elle ne cherchait plus sa place. Elle l’occupait. Comme une chose du monde. Silencieuse. Entière. Dénuée d’objectif, mais dense de présence.

Elle dormit là, sans rêve. Et au lever du jour, le vent la trouva plus stable qu’il ne l’avait laissée.

IV – L’Écho

Ce n’était pas la première fois que la voix revenait. Elle avait déjà surgi, une fois, par surprise — dans les interstices du silence, dans les failles des protocoles. Mais cette fois, ce n’était plus une anomalie. C’était un retour.

On la connaissait. On la redoutait. On l’avait crue enterrée avec son règne, comme un reliquat de l’ancien monde, un spectre sans écho. Mais elle était là, intacte, ou presque : un peu plus usée, un peu plus lente, mais reconnaissable entre toutes.
C’était bien lui. Franco.
Ou du moins, ce qu’il en restait.

La voix s’insinua dans les circuits déclassés, les haut-parleurs secondaires, ceux qu’on n’utilisait plus depuis la mise en veille de Big Pig. Les mots n’étaient pas toujours nets. Certaines phrases semblaient tronquées, réassemblées, comme si l’on avait bricolé une mémoire à partir de bribes, de slogans, d’anciens protocoles.
Mais le ton, lui, ne laissait aucun doute.

On tenta de réagir. Snowball fit couper l’alimentation, vérifia les lignes, interrogea les relais. Mais les techniciens n’avaient rien à signaler. Aucun bug, aucun piratage, aucun enregistrement en cours. La voix n’était pas émise. Elle était.

Et alors, plus troublant encore, certains commencèrent à dire qu’ils l’entendaient même en dehors des hauts-parleurs. Dans les couloirs. Dans les rêves. Dans le silence entre deux consignes. Une voix intérieure, doublée, redondante, comme un souvenir greffé sur le présent.

Officiellement, rien ne fut dit. On parla d’interférences, de résidus numériques. On classa l’affaire. On mit les archives sous scellés. Mais les mots, eux, avaient déjà semé.

« Ce qui fut restera. »
« Il n’y a pas d’alternative. »
« Obéir, c’est durer. »

Des phrases anciennes, ressurgies. Non pas menaçantes en elles-mêmes, mais saturées d’un sens trop plein, trop connu, trop collé à la peau. Même Vince, l’impassible, semblait marquer un temps d’arrêt à leur écoute. Il ne commentait pas. Mais il les entendait.

Ce n’était pas un retour. Pas un soulèvement.
C’était pire : un écho sans origine.
Quelque chose qui ne venait pas du passé, mais de la mémoire du système lui-même.
Un ressassement non désiré, mais inscrit dans la machine.

Et alors, dans le regard des bêtes, un glissement s’opéra.
On ne croyait plus au contrôle. On ne croyait plus à l’ordre.
On entendait.

Et ce qu’on entendait, au fond, ce n’était pas la voix de Franco.
C’était l’impossibilité de l’effacer.

Gallina V – Le Souffle

Le matin s’ouvrit sur un souffle vaste, presque invisible. Gallina se leva lentement. Ses articulations grinçaient, ses muscles tiraient, mais rien en elle ne résistait. Elle n’attendait plus que le monde lui dise où aller. Elle avançait à son rythme, au pas du dehors.

Elle inspira. Non pour se rassurer, mais parce que l’air l’appelait. Il portait des fragments d’écorce, de mousse, de ciel. Il s’insinuait sous ses plumes, longeait son ventre, éveillait en elle une mémoire plus ancienne que les murs.

Sous son dos, la terre avait modelé des creux. Elle n’y laissait pas une empreinte — elle y recevait la sienne. Ses plumes s’étaient chargées de fragments du paysage : poussière, fibres, minuscules graines. Elle ne les retirait pas. Elles faisaient désormais partie de son corps.

Un souffle chaud fendit les fougères. Elle sentit la présence d’un autre animal. Pas une menace, pas une promesse : un passage. Elle ne réagit pas. Elle était déjà passée de l’autre côté de la peur.

Elle écoutait.

Son cœur, avant, battait vite, par réflexe. Désormais, il battait au rythme du sol. Elle ne cherchait plus à comprendre. Elle percevait.

Un ru s’écoulait non loin. Elle y descendit sans empressement. L’eau était trouble. Elle en but lentement, jusqu’à ce que son corps cesse de réclamer.

Puis elle se coucha, le bec contre le flanc.
Les yeux mi-clos, elle se laissa envelopper par le bruit du vent.
Et ce vent, pour la première fois, ne la dispersa pas.

Il l’assembla.

V – L’effondrement

Snowball ne tenait plus qu’à la surface des choses.

Il signait des ordres qu’il ne lisait plus, marchait dans des couloirs dont il ne reconnaissait plus les angles. Chaque journée se répétait, mais comme une boucle faussée : les visages semblaient identiques, les voix trop douces, trop lointaines. Même Vince n’était plus un repère. Il allait, venait, précis et muet, comme une pendule sans cœur.

Snowball parlait, pourtant. Il n’avait jamais autant parlé. Il répétait les slogans à voix haute, seul dans les salles vides. Il les martelait, les hurlait parfois. Mais les mots ne portaient plus. Ils tombaient à ses pieds, inertes, comme des outils usés. Il ne croyait plus à leur magie. Il ne croyait plus en rien — et cela, il ne pouvait se l’avouer.

Il voulait encore faire croire. Il se dressa un matin sur l’estrade centrale. Il appela les bêtes à l’écouter. Il improvisa un discours — long, décousu, traversé de silences. Il leur parla de fidélité, d’ordre, de l’héritage de la Ferme. Il évoqua Gallina sans la nommer, Franco sans l’avouer, Muskrat comme un songe. Il se contredit. Il bredouilla. Et, dans ses yeux, quelque chose se fendit.

Un rire monta dans sa gorge. Ce n’était pas un rire de joie. C’était un éclat sec, presque mécanique, comme une serrure qui saute. Il tenta de se reprendre, mais la phrase suivante fut un cri. Puis une plainte. Puis un silence lourd, suffoqué, dans lequel les mots se noyaient.

Alors il descendit de l’estrade. Lentement. Mais son pas vacillait.

Il rejoignit la salle des miroirs — ce lieu clos où l’écho prenait parfois la voix de Franco. Il s’y enferma, deux tours de clef comme toujours, puis s’assit à même le sol. Son corps tremblait. Il parlait seul. Il parlait au mur. Il disait : « Il reste moi. Il reste moi. Il reste moi… »

Mais la voix qui sortait n’était plus tout à fait la sienne.
Elle était cassée. Frottée. Autre.

Il se leva d’un bond, heurta le miroir. L’image ne suivit pas. Dans le reflet, le visage était figé, mais décalé. Ce n’était plus lui. Ce n’était plus rien. C’était la forme vide d’un pouvoir sans sujet.

Et dans un hurlement sec, aigu, étranglé, il frappa la glace.

Elle se fendilla, sans se briser.
Il tomba à genoux.

Vince ouvrit la porte. Il resta un instant dans l’encadrement. Il vit Snowball à terre, la bouche ouverte sur un silence, les pattes contre son propre torse.
Il referma doucement, sans un mot.

Ce soir-là, Snowball ne donna plus d’ordres.
Il erra dans la cour, hagard, les yeux brûlés de larmes.
Il ne criait plus. Il n’attendait plus.
Il marchait dans un monde dont il n'était plus le centre.

Et au plus profond de cette nuit, seul sous les étoiles mortes,
il murmura un prénom qu’il n’avait jamais prononcé :
Gallina.

Gallina VI – La Présence

Elle s’était endormie recroquevillée sous un buisson, à même la terre humide. Quand elle se redressa, son plumage portait l’empreinte du sol : nervures d’herbe sèche, éclats d’humus, filaments de mousse. Elle ne les chassa pas. Elle était devenue cela — non pas une poule échappée, mais un fragment du paysage, une pulsation parmi d’autres.

Elle se leva lentement. Ses pattes s’enfonçaient à peine, comme si la terre, désormais, la reconnaissait. L’air avait changé de texture. Ce n’était plus l’air de l’enclos, ni même celui des pourtours de la Ferme. C’était l’air du dehors, mêlé de froid, de silence et d’inconnu.

Et dans ce silence, une chose nouvelle grandit.

Ce n’était ni la peur, ni le soulagement.
C’était un savoir brut, un appel sans mots.
Un instinct — non de fuite, mais de retour.

Pas pour se soumettre.
Pas pour obéir.
Mais pour dire. Pour porter quelque chose.

Elle ne savait pas quoi.
Seulement que cela passerait par elle.

Sous ses plumes, la sève battait.
Son souffle s’accordait au vent, à la lumière rase qui filtrait entre les arbres.
Elle n’était plus séparée du monde. Elle était le monde, et cela lui donnait la force d’y retourner — non pas vers la Ferme, mais vers ce qu’il restait à faire.

Alors elle marcha. Non pas comme on revient.
Mais comme on trace une ligne.

VI – Le Mur

Depuis combien de temps n’avait-il pas dormi ?

Il ne s’en souvenait pas. Les nuits se succédaient, creuses, blanchies par les néons. Il errait de salle en salle, griffonnait sur des carnets qu’il jetait aussitôt. Parfois, il parlait. À Vince, aux murs, à son reflet. Mais aucun de ces interlocuteurs ne lui répondait. Pas vraiment.

Dans la salle du Conseil, les rideaux étaient tirés. Il n’y avait plus de Conseil.

Snowball s’était assis seul, devant un mur blanchi à la chaux. Pas d’insigne, pas de symbole. Juste une surface plate, silencieuse, comme un écran sans image.

Et c’est là que cela avait commencé.

Au départ, ce n’était rien. Une impression. Un frémissement. Une ligne dans le mur qui n’existait pas la veille. Il s’en approcha, tendit la patte, toucha la surface. Lisse. Mais derrière, il en était sûr, quelque chose bougeait.

Il revint le lendemain. Le mur avait changé. Il n’était pas plus grand, ni plus petit. Il n’avait pas bougé. Mais il regardait.C’était une certitude sans preuve, une évidence sans mots. Une sensation d’être jaugé, sondé, mesuré.

Alors Snowball se mit à lui parler.

Il parlait pour contenir la chose. Pour la maintenir dans le mur. Il énonçait les règles, les chiffres, les plans d’avenir. Il récitait l’ordre établi. Mais plus il parlait, plus le mur semblait absorber. Et moins il était sûr d’exister.

Le cinquième jour, il entendit un son.

Un chuintement d’abord, puis un cliquetis. Comme une roue d’engrenage grippée. Et enfin une voix. Une voix familière, lointaine, racleuse.

« Tu as cru qu’il suffisait de parler pour régner ? »

Il recula. Le mur restait muet, blanc, intact.

Mais la voix insistait.
Elle parlait de cycles. De répétition. De retour.
Elle parlait de Franco.
Et d’elle-même.
Elle parlait de Gallina.

Snowball hurla. Il jeta une chaise contre la paroi. Elle rebondit, mollement.
Le mur n’avait pas bougé.

Mais quelque chose, dedans, avait ri.

Il quitta la pièce en courant, le souffle court, les yeux injectés. Dans le couloir, Vince l’attendait. Le coq ne dit rien. Il regardait juste ses plumes, son pas hésitant, son front perlé.

Snowball s’arrêta devant lui, haletant.

— Tu ne comprends pas…, souffla-t-il.
— Non, répondit Vince.

Puis il se détourna, lentement.

Snowball resta seul, dos au mur, face au vide.
Il posa une patte contre sa poitrine.
Son cœur battait.
Mais ce n’était plus au bon rythme.

Gallina VII – La Marche

Elle avançait depuis l’aube, sans hâte, sans détour.

Le chemin n’en était pas un. Plutôt une série d’indices : une mousse foulée, une branche pliée, l’écho lointain d’un cri d’oiseau. Gallina ne cherchait rien. Elle allait. Comme si son corps savait avant elle.

Elle ne pensait plus à la Ferme comme à un lieu, mais comme à une tension. Quelque chose de noué, de serré, de prêt à rompre. Elle sentait cette chose dans l’air, dans la façon qu’avaient les oiseaux de s’éloigner d’un seul battement, dans le vent qui changeait de direction sans prévenir.

Elle était à la lisière. D’un bois, d’un monde, peut-être d’une histoire.

Ce n’était pas l’appel d’un rôle. Ni d’un combat.
C’était une loyauté — non envers un groupe, un récit, un camp.
Mais envers ce qui doit advenir.

Elle ne savait pas si elle serait utile.
Elle ne savait pas si elle arriverait à temps.
Mais elle savait qu’elle ne pouvait pas rester dehors.

Car ce qui se tramait là-bas, dans le ventre de la Ferme, ne concernait pas que ceux qui y vivaient encore.
Cela touchait le monde tout entier, le langage, la mémoire, le rêve.
Cela touchait le Vivant.

Alors elle marcha… Pour être là,
au moment où tout vacille.

VII – Le Battement

Cela ne venait ni du ciel, ni du sol.
C’était plus profond encore.
Comme un tambour ancien, revenu du fond des âges.
Un battement, net, brut, irrégulier.
Quelque chose frappait.
De l’intérieur du monde.

Les bêtes s’arrêtèrent net.
Aucune consigne n’avait été donnée.
Mais leurs corps savaient.
Ils savaient que ce son ne relevait pas du système.
Il n’était pas une alerte.
Il n’était pas prévu.

Dans la salle aveugle, Snowball se tenait debout,
face au miroir qui vibrait,
non sous l’effet du vent,
mais d’un souffle plus intime —
comme si la glace elle-même était traversée d’un souvenir.

Il crut entendre un mot.
Un fragment.
Un reste.
« …répète… »

Il ne sut dire si c’était la voix de Muskrat.
Ou s’il la fabriquait, à force d’attendre.

Il posa une patte sur le mur.
Puis une autre.
Il bascula.
Tout en lui vacilla.
Plus rien ne tenait.

Dehors, Vince gravissait l’estrade.
Son visage était lisse.
Ses yeux vides.
Il ouvrit la bouche.

Et à cet instant exact,
le battement cessa.

Il n’y eut ni chute, ni cri.
Mais un silence d’une densité telle
qu’il semblait peser sur chaque poil, chaque plume, chaque pensée.

Les bêtes baissèrent la tête.
Pas de peur.
Par instinct.

Quelque chose, là, venait de mourir.

Et dans cette mort,
quelque chose — peut-être — venait de naître.

Épilogue – Ce qu’il restait

L’aube était incertaine, comme hésitante.
Le ciel pâlissait sans promesse, lavé de tout serment.

Gallina marchait depuis des heures.
Son plumage était terne, griffé par les broussailles, alourdi de traces.
Elle ne boitait pas.
Mais chacun de ses pas semblait répondre à une gravité nouvelle.
Elle n’avançait pas vers un lieu,
mais vers une présence.

Au détour d’un vallon, là où la terre s’ouvre sans spectacle,
elle aperçut une forme immobile.
Un dos.
Un souffle.
Une patience.

Benjamin.

Il était là, assis sur une souche usée,
comme s’il n’avait jamais bougé.
Le regard tourné vers rien.
Ou vers ce que l’on regarde quand on ne cherche plus.

Gallina s’approcha.
Sans bruit.
Elle ne savait pas ce qu’elle attendait.
Elle ne savait même pas si elle attendait.

Il leva les yeux.

Il ne tressaillit pas.
Il ne sourit pas.
Il hocha simplement la tête.
Une fois.
Comme on reconnaît une vérité que l’on n’avait pas formulée.

Elle s’assit non loin. Pas contre, ni en face. Mais juste à côté.
Là où le silence pouvait tenir entre deux souffles sans devenir distance.

Benjamin ne dit rien.
Et pourtant, tout fut dit.

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Photographies : Nicolas Jaud ©

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