L’ASCENSION

DES BÊTES

Illustration de trois animaux anthropomorphes : un coq tenant un micro, un cochon en costume parlant à une foule, et un rat avec un hologramme de fusée. Inscription "L'Ascension des Bêtes, Conte interactif" en arrière-plan.

Avant-propos : Écrire avec l’ombre et la lumière

Je suis musicothérapeute. J’accompagne les voix intérieures. Celles qui hésitent, qui cherchent, qui s’inventent en secret. Je tends l’oreille aux vibrations silencieuses — une mélodie qui naît d’un souffle, une parole qui s’élance malgré la douleur, un poème qui surgit d’un monde enfoui. Dans ce travail, il ne s’agit pas d’imposer. Il s’agit d’écoute et d’ouvrir un espace où quelque chose peut advenir. Et aujourd’hui, je m’aventure dans un nouvel espace d’écoute : celui de la création avec l’intelligence artificielle.

L’Ascension des Bêtes n’est pas un simple récit

C’est une fable construite à quatre mains — celles d’un humain et d’une machine, un terrain d’expérimentation, un théâtre de l’imaginaire où se jouent nos rapports au pouvoir, à la vérité, à l’illusion. Il s’agit d’une fiction qui, en parlant d’animaux, parle de nous… mais aussi de ce que nous devenons, collectivement.

Pourquoi écrire avec une IA ?

Parce que l’IA n’est pas qu’un outil. Elle est une surface de projection, un miroir parfois froid, parfois troublant, souvent révélateur.
Écrire avec elle, ce n’est pas se soumettre. C’est dialoguer avec l’inconnu. C’est décaler les lignes, mettre en jeu nos habitudes mentales, écouter ce que produit la rencontre.

Ce projet, c’est aussi un prolongement de mon métier

Dans mon travail de musicothérapeute, j’aide des patients à exprimer l’indicible, par des sons, des mots, des chants, des fragments de poésie.
Je ne soigne pas avec des vérités, mais avec des chemins, des passages vers soi, vers l’autre, vers le monde.

L’Ascension des Bêtes s’inscrit dans cette même démarche : créer un passage et un moment suspendu, un espace narratif, poétique, politique, où chacun peut projeter quelque chose de lui.

Et si la fiction redevenait un terrain de pensée ?

Et si l’IA nous permettait, paradoxalement, de nous reconnecter au sensible ?

Ce récit est en mouvement. Il s’écrit au fil des semaines, au fil des retours.
C’est un laboratoire ouvert.
Et une invitation…. Alors, allons-y !

Approchez en silence, vous qui cherchez la vérité. Dans l’ombre des pages à venir, une voix clandestine vous attend. C’est un murmure partagé entre les bêtes, une fable aux accents prophétiques. Rien n’est figé ici : chaque chemin, chaque destin naîtra de vos choix.

Une intelligence tapie dans l’obscurité écoute... Elle se nourrit de vos décisions et tisse en secret l’étoffe de l’histoire, épisode après épisode.

Votre esprit en sera le guide, votre curiosité le feu qui l’anime. Oserez-vous pénétrer ce récit vivant ?

Sous la plume algorithmique et le souffle du lecteur, la fable se réinvente à chaque pas. Le monde que vous allez entrevoir ne figure sur aucune carte. Il n’est éclairé que par la lueur de vos décisions et la conscience artificielle qui enregistre le moindre de vos choix.

Ici commence une ascension singulière : celle des bêtes dans une société qui vacille. Écoutez les bruissements du futur. Entrez maintenant en toute lucidité, et laissez-vous emporter. L’histoire vous attend…Et si Orwell écrivait aujourd’hui ?

Bienvenue dans L’Ascension des Bêtes : une fable animalière dystopique, créée avec l’IA et nourrie d’actualité brûlante.

C’est drôle, sombre, piquant… et surtout participatif.

Dessin d'un cochon anthropomorphique avec un manteau, dans une grange.

Épilogue : L’Ombre de l’Ancien Dictateur

La ferme émerge lentement d’une ère de plomb. Des années durant, Franco, un vieux verrat à l’allure austère et aux yeux d’acier, a régné sans partage. Ce porc taciturne gouvernait avec une rigueur froide. Sous son joug, la ferme vivait dans la peur et le silence. Aucune musique, aucun rire ne s’échappait des étables ; seules les directives sèches de Franco retentissaient, aussi tranchantes que le vent d’hiver. Son régime autoritaire avait banni la spontanéité et épuisé l’espoir. Les animaux, épuisés par les travaux forcés et la surveillance constante, baissaient la tête sous le poids d’une “utopie trahie”.

Pourtant, au cœur de cette nuit sans fin, une rumeur circulait à voix basse entre l’écurie et le poulailler. On murmurait que Snowball, le porc à la crinière blanche jadis banni, était de retour. Son nom — autrefois synonyme d’espoir révolutionnaire — ravivait une lueur dans le regard des bêtes. Franco, affaibli par l’âge et discrédité par les échecs répétés de son régime, sentait son emprise lui échapper. Une tension souterraine grandissait, pareille à un grondement lointain. Dans l’obscurité précédant l’aube, la chute de l’ancien maître était imminente. Les animaux retenaient leur souffle, partagés entre la crainte d’un chaos et l’espoir fou d’une aube nouvelle.

Big Pig : l’Algorithme Omniscient

C’est à ce moment critique que Snowball entre en scène, déterminé à “reprendre les rênes” de la ferme. Mais le porc exilé ne revient pas seul ni les mains vides. Fort de connaissances acquises durant son exil, il apporte avec lui une invention déroutante : Big Pig, un algorithme omniscient logé dans les entrailles d’une antique machine à traire reconvertie.

Big Pig se présente comme un œil rougeoyant, incrusté au faîte de la grange, qui balaie la cour du regard. Dès son implantation, l’appareil impose sa présence silencieuse : un léger bourdonnement électrique berce désormais la nuit, rappelant à chacun que quelque chose de nouveau surveille et enregistre le moindre mouvement. Big Pig est annoncé par Snowball comme “l’outil de la vérité contrôlée”. Relié à un réseau de hauts-parleurs grésillants et d’écrans bricolés, l’algorithme diffuse des proclamations à l’aube et au crépuscule. Il compile des données sur chaque animal – des heures de travail de Kolosse le cheval aux moindres caquètements des poules – et prétend en tirer la vérité absolue. Snowball clame que Big Pig saura distinguer les faits des mensonges, qu’il garantira que « chaque animal connaisse la vraie version des événements ».

En réalité, Big Pig devient rapidement le filtre unique de l’information : rien ne semble vrai tant que l’algorithme ne l’a pas validé. Les animaux, peu familiers avec ces mystères technologiques, accueillent Big Pig avec une curiosité mêlée d’effroi. La vérité elle-même paraît désormais sous surveillance. Très vite, Big Pig étend son ombre sur la ferme entière. Des caméras improvisées — des yeux de verre fixés aux poutres de l’étable — observent les allées et venues. La nuit, certains jurent voir l’œil écarlate de Big Pig briller entre les fentes de bois, guettant même les rêves agités. Au petit matin, une voix synthétique crépite dans les enceintes : c’est Big Pig qui énonce le Compte-Rendu de Vérité.

Chaque événement de la veille y est relaté dans une version unique et incontestable. Si une poule a disparu dans la nuit, Big Pig déclare qu’elle s’est enfuie trahir la ferme, et nul n’ose en douter. La réalité se plie aux narrations de la machine. Les animaux, d’abord déconcertés, commencent à accepter ces rapports quotidiens comme une bénédiction – enfin, pensent-ils, plus personne ne pourra les tromper comme sous Franco. Ils ne voient pas que la vérité contrôlée n’est qu’une autre forme du mensonge, habillée de la froide objectivité de la technologie.

De Nouveaux Alliés : Vince et Muskrat

La vieille grange où les animaux s'étaient rassemblés tomba soudain dans un silence de plomb lorsque deux nouvelles silhouettes apparurent sur le seuil. En tête avançait Vince, un coq au plumage noir de jais, à la démarche lente et assurée. Derrière lui, à pas feutrés, se glissait Muskrat, un rat musqué à l'allure effacée, presque englouti dans l'ombre de son imposant compagnon. Vince s'arrêta au centre de l'assemblée, baigné dans la lueur vacillante d'une lanterne suspendue. Il était grand pour un coq, le buste dressé et la tête haute. Sa crête écarlate, seule touche de couleur vive sur son plumage de nuit, lui tenait lieu de couronne. Il portait une veste austère, d'un noir strict, boutonnée jusqu'au col, qui accentuait encore la raideur calculée de sa posture. Ses yeux noirs, étincelants d'une intelligence glaciale, balayaient lentement la foule d'un regard qui semblait sonder chaque âme sans qu'un seul mot ne soit prononcé. Aucun sourire ne venait adoucir son expression sévère ; Vince ne cherchait pas à plaire, il ordonnait. On n'entendit pas le moindre cocorico d'annonce — ce coq noir ne chantait pas l'aube. Son mutisme même était prémédité : il contraignait chacun à guetter la moindre de ses paroles. Il n'avait pas à rompre le silence, il l'imposait.

En retrait, Muskrat observait tout d'un œil aigu. Son pelage brun terne ne reflétait presque pas la lumière. On l'aurait à peine remarqué s'il n'y avait ce malaise diffus que sa seule présence faisait naître autour de lui. De ses pattes griffues, il serrait contre lui un étrange appareil rectangulaire dont l'écran diffusait une lueur verdâtre sur son museau pointu. Par instants, son regard quittait l'écran pour balayer l'assemblée, aussi vif que furtif. Derrière de fines lunettes rondes, ses yeux perçants enregistraient la moindre réaction, sans qu'on puisse y lire autre chose qu'une froide curiosité. Il ne disait mot — il ne prenait la parole que pour glisser à l'oreille de Vince quelque constat ou chiffre, avec la précision neutre d'une machine. Muskrat ne cherchait ni la gloire ni l'attention : il ne brillait pas, il veillait. Tapi dans l'ombre, il maniait l'information et la stratégie comme un scalpel affûté. Chaque donnée était disséquée par son esprit méthodique, avec une précision algorithmique. Sous le regard autoritaire de Vince, plus d'un animal frémit malgré lui. Les plus bavards – oies comme canards — rentrèrent la tête dans les épaules sans émettre le moindre son. Même les chiens de garde, d'ordinaire si prompts à aboyer à la moindre alerte, se tenaient cois, pattes rivées au sol. Un mélange de fascination trouble et de crainte muette paralysait l'assemblée.

Chacun sentait confusément qu'un nouvel ordre venait de s'installer dans la grange. Dans ce silence lourd de soumission, nul n'osa questionner la légitimité de ces deux nouveaux alliés. Leur autorité combinée planait sur la grange tout entière comme l'ombre d'un pouvoir froid et calculateur, pesant désormais sur la destinée de toutes les bêtes.

La Ferme, Scène de Spectacle Permanent

Autrefois terne et disciplinée, la Ferme des Animaux se métamorphose en un univers de spectacle permanent. Snowball, conseillé par Vince, comprend vite que la domination la plus efficace n’est pas seulement d’imposer, mais de captiver. Chaque journée devient une mise en scène. Dès l’aurore, après le bulletin de vérité de Big Pig, la cour de la ferme se transforme en studio à ciel ouvert. Des haut-parleurs diffusent une musique entraînante composée par un vieux cochon pianiste, mêlée aux slogans enjôleurs écrits par Snowball lui-même. Les moutons, jadis utilisés pour répéter « Quatre pattes, oui ! Deux pattes, non ! », bêlent maintenant un refrain nouveau : « Big Pig voit tout, Big Pig sait tout ! ».

Ce refrain, diffusé en boucle, s’infiltre dans l’esprit des animaux du matin au soir. La manipulation par la ritournelle fonctionne — bientôt, même les plus sceptiques se surprennent à fredonner les louanges du régime en vaquant à leurs tâches. La journée est rythmée par des événements spectaculaires. Au zénith, Vince organise le Grand Show de la Mi-Journée. Sous un soleil implacable, les animaux se rassemblent autour d’une estrade montée sur la charrette autrefois utilisée pour les récoltes. On y présente des tableaux vivants glorifiant la ferme : des pigeons tracent dans le ciel le portrait de Snowball avec des banderoles colorées ; un cochonnet déguisé en Franco, bedaine postiche et mines sévères, est publiquement chassé de la scène sous les huées enregistrées d’une bande-son. La foule rit et acclame, soulagée de tourner en dérision le spectre de l’ancien tyran. Puis Snowball apparaît, drapé dans un manteau cousu de diverses toisons offertes par les moutons, et prononce un discours enflammé. Chaque apparition du nouveau chef est un spectacle minutieusement orchestré, avec éclairages, applaudissements synchronisés et parfois même des feux d’artifice improvisés (grâce aux poudres fournies par Muskrat).

La politique se fait théâtre : on ne sait plus distinguer la sincérité de la mise en scène. Le soir venu, la ferme n’a pas droit au repos pour autant. La grange centrale s’illumine d’une lueur fantomatique — Muskrat a installé des ampoules alimentées par le moulin à vent, qui tournent jour et nuit. On projette sur le grand mur la Revue du Jour préparée par Big Pig et Vince : un montage d’images de la ferme, de chiffres de production flatteurs et de courtes scènes de liesse populaire. On y voit par exemple les vaches applaudir en cadence pour avoir dépassé le quota de lait (sans mentionner qu’elles ont été traites à en avoir mal au pis), ou les poules offrir volontiers plus d’œufs (cachant le fait qu’on les y a forcées). Les apparences priment sur la vérité.

Chaque soir se conclut par un cliffhanger, une annonce d’un « grand projet » à venir qui sera révélé le lendemain par Snowball. Ainsi, l’attention des animaux est continuellement captée, saturée de nouvelles grandioses et d’images flamboyantes. Dans ce vacarme médiatique, plus personne n’a le temps de penser aux douleurs du jour ni aux promesses brisées – tout n’est que spectacle, dans un présent perpétuel. Pour les quelques créatures encore lucides, cette frénésie est épuisante. Clover, la jument au cœur doux, s’inquiète de ne plus jamais trouver un moment de calme pour réfléchir. Elle se souvient des réunions sobres où Old Major parlait d’égalité, dans le silence respectueux de la grange. Maintenant, même la nuit est ponctuée par le ronronnement de Big Pig et les éclats lointains d’une fête ou d’une autre. La ferme vit dans une illumination constante, comme une cité qui ne dort jamais, où l’obscurité — tout comme la vérité nue — n’a plus sa place. Et pourtant, malgré le chatoiement de ce spectacle permanent, une ombre persiste : celle d’un malaise diffus, d’un doute muselé qui ronge les consciences isolées.

Les premières décisions spectaculaires de Snowball

À peine Snowball s’est-il installé au pouvoir qu’il prend des décisions aussi symboliques que fracassantes. Le but est clair : marquer les esprits et prouver que l’ère nouvelle a commencé.

Première mesure : Snowball ordonne la destruction du dernier vestige du régime de Franco. Sur la grande place, trônait une statue grossière du vieux verrat dictateur, taillée dans un tronc par des cochons zélés. Un matin, sous les trompettes du coq Vince, Snowball fait abattre la statue. Les débris sont utilisés pour paver l’entrée de l’étable, « afin que chaque animal puisse marcher symboliquement sur le passé », dit-il. Cette démolition publique, retransmise en direct par les caméras de Big Pig, est accueillie par des vivats. Elle offre aux animaux un exutoire cathartique : en voyant la pierre de Franco réduite en miettes, beaucoup pleurent de joie, convaincus d’assister à la fin définitive de la tyrannie.

Deuxième mesure : Snowball proclame la rédaction de nouveaux Commandements. Les anciens principes peints sur la grange — devenus illisibles sous les retouches successives de la propagande — sont effacés. À la place, Snowball, pinceau à la main (un geste théâtral capté par Big Pig), inscrit une maxime unique censée guider la ferme : « Tous les animaux doivent progresser ensemble, sous l’œil bienveillant de Big Pig. » Cette phrase alambiquée remplace l’idéal égalitaire d’antan. Elle promet le progrès et suggère une protection, mais n’assure plus l’égalité ni la liberté. En sous-texte, elle consacre l’algorithme comme nouvelle autorité morale. Les bêtes, fascinées par l’apparat de la cérémonie — le coq Vince lisant le nouvel axiome comme on lit un pacte sacré, la foule répétant en chœur — ne réalisent pas pleinement ce que ce commandement implique. La vérité, c’est que Snowball vient de graver dans le marbre son propre credo, mettant chaque esprit sous la tutelle de Big Pig.

Troisième mesure : Snowball lance un projet monumental qui frappe les imaginations. Tirant parti des idées de Muskrat, il annonce la construction d’une Tour de l’Innovation à l’emplacement de l’ancien moulin. Ce sera une tour haute, faite de métal et de briques, équipée d’hélices actionnées par le vent et reliée à des dynamos. « Cette tour fournira de l’électricité à toute la ferme, plus personne ne souffrira du froid en hiver ni de l’obscurité la nuit », promet Snowball à une assemblée ébahie. En réalité, la tour servira surtout à alimenter Big Pig et le réseau de diffusion en énergie, consolidant ainsi la portée de la propagande. Néanmoins, les animaux y voient un geste presque magique. Jamais Franco n’avait osé rêver si grand — lui se contentait d’exporter les œufs et le bois, quitte à affamer la ferme. Snowball, lui, offre du rêve emballé de progrès. Immédiatement, les plus robustes, du cheval Kolosse aux bœufs, sont mobilisés pour les travaux titanesques. Sur l’écran de la grange, Big Pig diffuse en continu les plans grandioses et des simulations scintillantes de la future tour, maintenant chaque esprit focalisé sur cette entreprise fédératrice.

Quatrième mesure : dans un geste aussi calculé que symbolique, Snowball décrète une amnistie générale pour certains animaux condamnés sous l’ancien régime. Des poules qui avaient été punies pour avoir couvé leurs œufs en secret, le bouc qui avait osé critiquer la baisse des rations — tous sont officiellement pardonnés lors d’une cérémonie publique. Snowball explique, grand seigneur, que « la nouvelle ferme n’a pas peur de la vérité ni de la critique loyale ». Beaucoup y voient un acte de justice et de réconciliation nationale. Cependant, simultanément, Snowball fait juger à huis clos les pires tortionnaires de Franco — notamment les chiens de garde les plus féroces. Le procès expéditif, mené en présence de Big Pig, conclut à leur culpabilité pour trahison et cruauté. Ils disparaissent du jour au lendemain, sans grande publicité. Officiellement, ils ont été envoyés « hors de la ferme » pour expier leurs fautes, mais des hurlements dans la nuit ont laissé entendre une vérité plus sinistre. Ces deux faces d’une même pièce — clémence d’un côté, purge de l’autre — affermissent la position de Snowball. Aux yeux de tous, il apparaît à la fois juste et fort, généreux avec le peuple mais impitoyable avec les ennemis.Personne n’ose se demander si l’amnistie n’est qu’une façade, ni quels autres secrets sont enfouis avec les chiens disparus.

Ainsi, en quelques semaines, Snowball imprime sa marque sur la ferme. Chaque décision spectaculaire est un coup de projecteur éclipsant un peu plus le souvenir de l’ancien ordre, tout en liant davantage le destin des animaux à son propre règne. Sous les confettis et les déclarations exaltées, une nouvelle vérité s’installe : Snowball est le sauveur et le maître incontesté, et nul ne doit regarder derrière le rideau de ce grand théâtre politique.

Un Faux Espoir dans une Nuit Sans Étoiles

À la tombée d’une énième journée de célébration, une calme angoisse plane sur la ferme. Certes, Franco l’austère n’est plus qu’un cauchemar évanoui, et Snowball a apporté une lumière nouvelle — au sens propre comme au figuré. Dans la pénombre orangée des lampes de Muskrat, on voit les silhouettes des bêtes regagner leurs stalles, fatiguées mais le cœur plein d’un espoir prudent. L’ambiance est à la fois euphorique et étrangement lourde. Comme si, sous les rires forcés et les chants programmés, quelque chose grondait encore. Benjamin l’âne ferme les yeux en entendant au loin la voix de Big Pig énoncer le dernier communiqué du soir. Il se remémore la promesse originelle de l’Animalisme — tous les animaux égaux, libres et heureux. À présent, les mots ont changé, les visages du pouvoir aussi, mais la liberté véritable lui paraît toujours hors de portée. Clover la jument ressent au fond de sa poitrine un pincement diffus en contemplant la bannière verte de la ferme, désormais frappée du sigle lumineux de Big Pig. Elle voudrait croire que Snowball est différent, que cette fois c’est la bonne. Après tout, il a chassé un tyran et allumé des étoiles dans les yeux de chacun.

Ce doux rêve d’un avenir radieux flotte comme un parfum enivrant, couvrant pour un temps l’odeur âcre des renoncements. Pourtant, au-delà des collines, le ciel nocturne demeure sans étoiles — voilé par les fumées et les lumières artificielles de la Tour de l’Innovation en construction. Dans cette obscurité factice, la ferme tout entière semble retenir son souffle. Quelque part, sur le toit de la grange, l’œil rouge de Big Pig pulse faiblement, pareil à un cœur mécanique. Il veille. Snowball, depuis la fenêtre éclairée de la maison de ferme qu’il a investie, observe en silence son royaume hypnotisé. Un léger sourire flotte sur ses babines tandis qu’il savoure le spectacle de son propre triomphe. La double lecture de ce tableau est troublante : à la surface, la ferme jubile d’un renouveau tant espéré ; mais dans les tréfonds, l’ombre d’une nouvelle forme de tyrannie s’étend, subtile et insidieuse.

Snowball a promis la vérité et offert le spectacle, il a rallumé la flamme de l’espoir tout en forgeant de nouvelles chaînes dorées. Les animaux ne le savent pas encore, bercés par le lyrisme sombre de ce soir de fête, mais ils dansent au bord d’un précipice. L’histoire de la ferme continue, interactive et imprévisible, oscillant entre lumière et ténèbres — et nul ne peut dire, de l’espoir ou de la peur, qui l’emportera au petit matin.

Un coq anthropomorphe vêtu d'un manteau noir se tient à côté d'un rat anthropomorphe portant des lunettes et contemplant une tablette, dans une scène sombre et mystérieuse.